Voyez vous, il y'a peu, alors que tout mon système comportemental semblait indiquer que ça n'arriverait jamais, j'ai découvert que moi aussi, il y'avait en ce bas monde une cause qui me touchait. Rien ne me rattachait jusqu'à présent à mes semblables, plus particulièrement, je suis de ceux pour qui il n'est de cause à défendre. C'est ainsi, je faisais parti de ceux que rien ne touche. Je ne milite pas pour des droits liés à une orientation sexuelle considérée encore parfois comme déviante (je parle juste des relations entre adultes consentants…), ni pour l'intégration d'une ethnie à laquelle j'appartiendrai de par mes origines, ni pour les droits d'un peuple à l'autre bout de la Terre qui crève sous le joug de l'oppresseur, et encore moins pour les animaux que je déteste encore plus que l'Homme car on en trouve toujours pour les défendre puisqu'ils ne peuvent le faire eux mêmes (on a brisé mon rêve d'enfant, je voulais devenir matraqueur de phoques ).
Bref rien au monde ne me prédestinait à me réveiller un beau matin, et comprendre que j'avais un rôle à jouer, rien qu'un tout petit rôle, dans un grand combat, comme tous ceux que j'ai jusqu'ici raillé pour leurs convictions absurdes. D'ailleurs pas plus tard qu'hier, abordé par une militante crasseuse et buccalement percée de la WWF arborant le célèbre sigle sur son tee-shirt vert batracien qui me demandait (la fille, pas le tee-shirt) cinq minutes de mon temps si précieux pour me parler de je ne sais quoi, j'y allais de mon sarcastique « je vous arrête tout de suite, je soutiens activement le massacre d'espèce protégée ». Oui je sais, je radote, mais on ne se refait pas, ça me fait toujours autant marrer.
Donc jusqu'à hier encore, je faisais parti de ces gens sans convictions profondes, sans combat. Il est vrai que, hormis l'idée que vous pouvez vous faire de moi à travers ces lignes, il n'y a pas grand-chose qui transpire de ma personne (peut être mes aisselles, il fait si chaud en ce moment). Qui suis-je, au fond ? C'est pourtant très simple. Je suis un jeune homme de 23 ans, d'origine caucasienne (teutonne pour être précis)qui mène une existence somme toute normale.
Je suis un blanc, athée, de bord politique indéfini et hétérosexuel, et ça la tout le drame. Je suis d'une banalité affligeante tout compte fait. Les gens comme moi ne se rendent pas dans un lieu saints toutes les semaines, convaincu de l'existence de « quelque chose ». Les gens comme moi ne sont pas contrôlés régulièrement par la police, on ne fait pas attention à nous, on ne nous tabasse pas, et quand ça arrive, personne ne manifeste en grande pompe pour ça. Ces enculés d'S.O.S racisme n'ont jamais fait quoi que ce soit pour mes droits ! Ordures ! D'ailleurs les droits, l'intégration tout ça, je n'ai même pas à me battre pour puisqu‘elle est innée. C'est d'une morosité accablante. Mes semblables et moi n'organisons pas de grandes parades avec musique, défilés, et chars (enfin plus depuis les années trente) pour signifier notre bord sexuel. Nous ne faisons pas d'hétéro-pride pour scander que nous, nous ne pétons pas des rondelles, mais que nous fouraillons bestialement de jolies minous, de façon toute traditionnelle, et sans offense pour les désanusseurs joviaux, de façon « naturelle ». Mais justement, c'est cette norme qui nous fait défaut. Nous sommes tellement conformiste, jusque dans le choix de nos ébats. Nous ne sommes même pas bi, pensez vous ! Nous sommes de banals culs blancs hétéros n'ayant plus foi en rien. Quelle drame. Nous ne sommes pas discriminés à l'emploi, nous avons les droits inhérents à notre naissance, dans un beau pays civilisé. Nous ne sommes même pas réduits à l'esclavage ou reconnaissables à vue d'œil. Nous ne portons pas de symbole ou de vêtement qui trahirait notre origine et qui serait un moyen pour toute personne nous haïssant de nous reconnaître et de nous éclater proprement la gueule avant de nous jeter dans un canal. Si encore, nous étions nés dans un pays en crise, où la violence fait des hommes des frères face à la puissance meurtrière et aveugle des puissants de ce monde, mais même pas ! On ne nous découpe pas à la machette au Darfour, nous ! Quel pays souffrirait pour nous, nous soutiendrait ? Nous ne mourrons ni de faim ni de soif, nous sommes les acteurs de la mondialisation et du libéralisme, pas ses victimes. Les membres de U2 organiseraient-ils un concert ultra-planétaire pour nous ? (D'un autre côté c'est pas plus mal en fin de compte, parce que U2 c'est quand même de la belle merde)
Il n'y a rien à faire, je suis né dans un pays civilisé, relativement stable, sans réelle difficulté à m'intégrer, comme tant d'autres. Et là où j'avais une petite chance d'être une dernière fois la proie d'un système impitoyable qui ne reconnaît de valeur à l'individu que dans le travail, et bien j'ai raté le coche. J'ai un emploi. Je ne suis même pas foutu d'être sans emploi, chômeur en fin de droit, RMIste même ! Je n'ai même pas la chance d'être décrié comme un profiteur de l'état, comme une feignasse qui vit du labeur de cette France qui se lève tôt ! Quelle infamie ! Quelle désarroi ! Et le comble de l'horreur, pour quelqu'un dans ma situation, c'est que je suis bien né français ! Je suis en règle ! Moi, on ne vint pas me cueillir à la sortie des préfectures pour me jeter dans un centre de rétention avant de me renvoyer dans un pays merdique ! Non, quelle idée ! J'ai des papiers en règles moi, putain de merde ! Mais vous croyez que c'est marrant vous, comme situation ! Je risque rien à me balader dans la rue ! Mon travail est déclaré, et je suis payé partiellement lorsque je suis en arrêt maladie ! La sécu s'occupe de moi ! Mais c'est abominable…
Et voilà, sur le coup, je me dis que la vie est vraiment merdique quand on a pas ce petit truc qui fait que les autres en chient comme des merdes, mais qui ont quelque chose à gagner et à prouver. Voilà mon drame, notre drame, nous sommes des médiocres. Aussi j'envie ces gays qui se font tabasser et qu‘on discrimine, ces juifs qui se font casser la gueule, ces étrangers qu'on expulse, ces sans-papiers qu'on exploite, ces croyants qu'on méprise ou que l'on craint, ces travailleurs qu'on rechigne à employer, ces pauvres qu'on fustige, ces vieux qu'on saigne aux quatre veines, ces peuples de par le monde qu'on extermine, qu'on affame. Bref, j'envie tous ces enfoirés qui ont cette particularité qui fait toute leur différence et qui fait qu'on se bat pour eux, qu'on les soutient, et qui eux-mêmes trouvent la force de se montrer au grand jour pour exister, alors qu'on fait tout pour retarder l'inévitable échéance où on les acceptera pour ce qu'ils sont, où ils s'intégreront.
Tristement et ironiquement, ce jour maudit signera la fin de leu combat, de ce long périple, où l'on élargira la norme pour ne plus avoir à les remarquer.
A moins que d'ici là, on ne finisse par discriminer ceux qui ne rencontrent pas tous les obstacles inhérents à l'affichage volontaire ou non d'une différence notable, ce que j'espère en un sens. Car si ces pauvres connards n'ont pas réfléchi une seconde au drame que c'est d'être « normal », moi j'affirme avec force que j'attends impatiemment le jour où je pourrais afficher mon exceptionnel banalité et qu'on me regardera de travers, qu'on me lapidera, peut être même qu'on voudra me casser la gueule. Ainsi je pourrais enfin lutter pour mes droits, car nous serons alors différents de ces gens qui vivent leur différence comme un fardeau parce que les gens normaux conservent jalousement ce privilège qu'est la normalité (ou ce qu'on établie en tant que norme) comme des idiots alors qu'il s'agit de la clef du salut. Nous deviendront comme eux, car accorder les même droits que nous à tous ces enfoirés, accorder tout ce que demande les étrangers, les gays, les pauvres, les travailleurs etc, c'est leur accorder un privilège, et du coup, nous qui sommes normaux et n'avons rien à demander, nous serons immanquablement discriminés, puisque nous, ce qu'ils demandent, nous l'avions déjà. On inversera la tendance. Ce sera merveilleux.
Raaaaaah comme je vous hais, bande d'enculés d'anormaux.