On l'attendait, et comme à chaque fois qu'on l'attendait, elle n'est pas venue. L'apocalypse, le Jugement Dernier, c'est un peu comme bon nombre de phénomènes paranormaux, ça n'existe que dans l'esprit des naïfs et de ceux qui font en sorte que le mythe perdure.
Je le savais bien moi, que rien en se passerait. Hormis quelques petites choses que je ne m'explique pas, il n'y pas de quoi casser trois pattes à un canard.
Tout s'annonce comme une journée parfaitement normale, si on excepte que pour des raisons inconnues, il manque un pan de mur à l'immeuble où je réside, d'un côté c'est pratique, j'ai une vue magnifiquement panoramique sur le barrage depuis mon lit désormais.
Lorsque je sors, afin de faire un footing matinal, ce qui consiste, à mon niveau, à marcher sur environ 500 mètres et revenir chez moi, je constate que l'eau est de plus en plus dégueulasse aux abords du barrage, elle a viré rouge sang, et tous les poissons sont, semble-t-il, morts durant la nuit. D'un autre côté je m'en fous alors je continue mon chemin.
Puisque je suis dehors, autant faire un détour par la boulangerie. Je quitte mon quartier paisible, et exceptionnellement en ruine, et me dirige vers la boulangerie la plus proche même si le pain et les pâtés lorrains y sont infâmes, comme tout bon fainéant qui se respecte.
Sur le chemin je constate avec tristesse que les émeutes ont recommencé. Les voitures sont pour la plus parts retournées, en feu, ou déjà carbonisées. La chaussée a souffert des excès de ces vandales, puisqu'elle est défoncée, complètement irrégulière et distordue. Je vois que les émeutiers se sont également attaqués aux maisons de particuliers, dont beaucoup fument encore.
«Belle exemple pour la jeunesse», pensais-je alors.
Arrivé à la boulangerie, je m'aperçois qu'elle est fermée, visiblement victime des émeutes. Vitrine brisée, grille forcée, pain dévalisé, boulangère violée et partiellement mangée. (Ne me demandez pas comme je sais que cette dernière fut la victime d'un viol)
Je poursuis donc mon chemin, afin de me rendre en centre-ville, et me dirige vers l'arrêt de tram le plus proche.
Les bornes qui affichent le temps d'attente sont hors d'usage, les voies où circule le tramway ont connu des jours meilleurs, et après vingt minutes à chercher au loin un véhicule de transport en commun qui n'est jamais arrivé, je comprends qu'une fois de plus il est en panne. Enfin quelque chose d'à peu près normal ce matin.
J'avance et commence à désespérer de trouver un commerce ouvert, serions nous un jour férié ? Quand les boutiques n'ont pas été mises à sac, elles affichent « fermeture définitive ».
Les poubelles brûlent, on entend des cris humains et inhumains, et toutes les dix minutes on peut entendre les sirènes d'alerte de la ville, utilisées en cas d'incendies ou de problèmes gravissimes, mais cela s'explique parfaitement, nous sommes le premier mercredi du mois : le jour des exercices d'alerte. Heureusement que je ne suis pas un crétin, sinon j'aurai commencé à paniquer, a plus forte raison quand je suis arrivé place du marché, et qu'un illuminé devant le parvis de l'eglise sonnait une cloche en hurlant qu'il était encore tant de se repentir.
« Viens à moi, mon fils ! » me dit il en me voyant passer alors que je le fixais d'un air hébété. Le plus incroyable c'est que je voyais bon nombre de nancéiens, apparemment terrorisés, se ruer vers l'intérieur de l'édifice.
Je constate que certains conservent tout leur sens, en continuant à marcher tranquillement dans les rues… Bon pour la plupart, ils sont sales et ont la peau verte, leurs fringues sont déchirées, ils gémissent longuement lorsqu'on les interpelle, marchent lentement et semblent désorientés. Le plus étrange et qu'ils semblent se nourrir de chair humaine, et que l'on peut voir distinctement un code-barre sur leur nuque, avec tatoué en dessous « 666 ». Sûrement des touristes étrangers, venant d'un pays où manger des gens est légal. Peut être des touristes allemands, qu'on aura étiqueté pour ne pas les perdre.
En désespoir de cause, je me décide à rentrer chez moi sans pain ni pâté lorrain. En passant devant d'autres églises, j'entends d'autres prêcheurs qui meuglent en agitant des cloches. Soudain le curé me semble être un personnage proche de la vache. Et encore, je ne vous parle pas du charabia qu'ils vocifèrent tous.
Des trucs à propos du Jugement Dernier, de repentir, parfois on entend distinctement que les morts reviennent sur Terre, on me met en garde contre la marque de la bête et ceux qui la portent, 666 par ci, 666 par là… Je ne pensais pas qu'un jour l'Eglise serait à ce point en mal de fidèles pour user de stratagèmes aussi minables, ça ne ressemblait pourtant pas à cette grande institution.
Un journal se colle à ma tronche, amené par le vent. Je lis rapidement le gros titre « La fin du monde : l'apocalypse est là ! » et je suis bien obligé de reconnaître que l'Eglise n'est guère la seule à user de moyens limites et racoleurs pour attirer les foules.
Il serait peut être tant qu'ils comprennent tous, que nous ne sommes pas assez cons pour nous ruer sur un truc de merde comme le catholicisme, un journal, ou même un film pourquoi pas, tout ça parce que cela aurait un vague rapport avec la fin du monde.
Non mais franchement ! Heureusement je ne suis pas né de la dernière pluie moi, je ne marche pas dans tous ces trucs là.
Tiens cet après midi je vais me poser place Stanislas et profiter de ce magnifique ciel rouge et de ces jolies chutes de météorites qui n'en finissent plus de tomber sur ma ville, en plus, ‘paraît qu'ils ont remplacé la mairie par une sorte de château psychédélique de style gothique avec écrit « Hell » au dessus de la porte. J'irai peut être y faire un tour à l'intérieur si j'ai le temps.
«.´¯¯`•.,¸¸,.•´¯*Δ†ØЛ ǿF †ħэ ЄИĐ*¯`•.,¸¸,.•´¯¯`.»
("Faut pas boire l'eau du robinet...non, faut pas la boire...")