Vous le savez, car à force de vous l’enfoncer dans le crâne avec la délicatesse d’un panzerkampfwagen, j’ose espérer que c’est acquis pour mon lectorat : je n’attends pas grand-chose de cette masse difforme qui arpente les recoins de ce monde, et qu’on nomme « le pauvre ». Tous leurs trucs, je les connais. Depuis l’inévitable indien victime du tsunami jusqu’à l’enburkée à genoux psalmodiant « s’i vous plêêêê, pou li z’enfaaaaaants !» au coin de ma rue, depuis l’irremplaçable ivrogne bourré à la villageoise jusqu’au jeune anticapitaliste dreadeux chaussé de rangers de récup’ et d’un treillis, qu’on trouve généralement vautré à côté des distributeurs de billets, du plus affligeant des mutilés de je ne sais quel coin reculé où l’on règle encore (Dieu merci) les conflits à la machette, en passant par le soixante-huitard sur le retour à la calvitie naissante,déchiré à la bavaria 8.6, vous proposant des œuvres originales d’artistes officiant dans une prétendue MJC (œuvres qui s’avèrent être de grossière photocopie bas de gamme qu’un œil pourtant bien mal en point pourrait repérer bien aisément tellement c‘est gros), et ceci sans oublier de cette liste qui ne saurait être exhaustive sans devenir une copie de ma liste noire d’êtres abjectes à abattre quand on se sera décidé à me filer le pouvoir, l’immanquable pseudo-voyageur (sans bagages of course) à qui il ne manque, comme par hasard, qu’un euro cinquante pour son billet de train qui démarre dans une demi-heure, je pense avoir été confronté à ce que la nécessité et la pauvreté offre de plus gratiné.
Pourtant, il existe une nouvelle race de pauvres, mendiants ou affiliés. Il existe un homme qui m’a touché, en faisant appel à la seule chose pour laquelle j’ai un tant soit peu de respect; l’humour.
Toi qui ne lis certainement pas ces lignes parce que ça m’étonnerait que tu disposes d’une connexion internet sous ton pont, je tiens à te rendre un vibrant hommage, car là où tes congénères dépravés ont cédé à la facilité en tentant maladroitement de jouer sur la pitié, tu as opté pour la misère joyeuse.
« Pour le caviar, le champagne, la Ferrari et la maison à St trop’ » affichais tu fièrement sur ta petite pancarte de carton, étendard de ta paresse réjouissante.
Lors d‘une rude journée de travail à arpenter les rues de Marseille, maudissant ceux qui comme toi se doraient la pilule au soleil dans des vêtements de pouilleux, suintant la vinasse par tous les pores de la peau, il t’a suffit d‘un nouvel appel subtil à la générosité « Il me manque juste un million d’euros pour devenir riche » pour me faire sourire. Pas ce sourire crispé de citadin trop négligeant pour voir une telle force de caractère chez un pauvre clochard de merde, non, ce vrai sourire que j’affiche rarement lorsque je dois affronter la populace sudiste aux âcres relents de transpiration et de mauvais goût affiché.
Si tu inspires la pitié, c’est bien malgré toi. Forcément, on peut pas aussi te demander de bien te saper pour faire la manche, ce serait peut être poussé le culot et l’humour douteux un peu loin. Te laver serait un plus, mais bon.
Non mec, toi t’es là, avec tes fringues à l’arrache, parfois même avec un peignoir aussi miteux qu’un vieux chat, ta binouze à la main, et une clope dont on se demande si elle n’est pas quelque peu agrémentée d’une manière ou d’une autre par quelques herbes aromatipsychotripantes, ce qui expliquerait ta paire de lunette de soleil ne laissant pas deviner si tu as l’air rieur ou défoncé. Avec la classe Dudesque d’un grand Lebowski, ta nonchalance assumée attire, je dois l’admettre, la sympathie, et tes messages pleins d’ironie valent tellement mieux que tous ces discours stridents de crève-la-dalle dont on nous harcèle les tympans toute la journée. Ces tirades plaintives et mensongères ne me font que plus facilement vomir depuis que j’ai croisé ton chemin, toi qui ne te cache guère en nous signifiant par ton manque de sérieux que de toute façon, notre argent étanchera ta soif, et rien d’autre.
Et quelle leçon tu donnes à ces veaux syndiqués, ces retraités, ces salariés anxieux et ces inadaptés pleurnichards adipeux, qui baissent les bras face à la crise, et ne font que se plaindre à longueur de temps de ce qu’ils n’ont pas encore perdu : Leurs emplois, leur fierté, leur argent.
Oui mon ami clodo, contemple du haut de ton j’m’en-foutisme quelle exception tu es, toi que la pauvreté n‘a pas fait sombrer dans la morosité. Non franchement, je te tire mon chapeau. J’irai même jusqu’à dire que parmi toutes ces sous-merdes qui jalonnent nos rues et qu’on pendrait haut et court si la justice des Hommes n’avait pas, depuis belle lurette, fait son coming-out pour devenir une lavette effacée ne cédant plus aussi facilement que par le passé à l’ire de la vindicte populaire, j’ai presque du respect pour toi. Presque. Parce que quand même, c’est pas parce que tu es pauvre que tu dois nous ressortir inlassablement les mêmes cartons. Ils sont drôles, d’accord, mais les rediffusions, ça va cinq minutes.
Par contre c’est pas parce que tu me fais marrer que je te filerai du fric, enculé de pauvre. ‘Faut pas déconner non plus.
(Cet article est dédié à tous les mendiants du monde à qui je ne filerai jamais rien, d'où qu'ils soient, quoi qu'ils demandent, surtout s’ils déclarent des conneries bien cocasses, sous forme de slogans, apposées sur des panneaux de merde, dans le but pour nous soutirer quelque chose.)