Joe, c'est un bon vieux pochtron bien de chez nous, le genre de mec qui peut dormir a poil sous la neige en pleine rue tant qu'il a son litron de rouge. Mais en cette nuit particulièrement glaciale, par cette quasi-tempête de neige, Joe avait décidé, pour la première fois en 20 ans d'exclusion du système et de mendicité sauvage, de se rendre dans un foyer. Délaissant son carton, ses poux et ses poubelles, Joe avance, à contre vent en suivant les lignes de tram.
Pendant ce temps, moi, je suis bien au chaud chez moi, je prends une douche bien chaude, et je suis en retard comme d'habitude. Je m'habille en trois seconde huit, chausse mes rangers en même pas dix secondes (ceux qui me connaissent savent qu'à ce moment précis je mens) et je sors pour affronter le froid lorrain et la neige battante.
Le vent fouette mon manteau de cuir, la neige dégoulinante éclabousse mes chaussures, les flocons eux, me font plisser les yeux. J'arrive à mon arrêt de tram, dix minutes d'attente, une clope s'impose, « what hell is about » sur les oreilles aussi. Je suis le maître zen dont la méditation ne saurait être perturbée par le froid. Un clochard s'approche de moi et me demande une clope, qui lui serait fort salvatrice par ce temps démentiellement glacé. Je l'envoie gentiment au bois en lui expliquant que la conjoncture actuelle n'est pas à la solidarité mais au « chacun pour sa gueule », au « libéralisme », au « mérite » et à « l'effort ». Il s'éloigne, mais je sais que j'ai agis pour son bien.
Joe le clochard avance, toujours le long des lignes de tram, après s'être fait refuser une cigarette par un jeune trou du cul tout de noir vêtu. Ses chaussures trouées laisse la neige s'infiltrer, il a froid et mal. Il s'arrête un temps sur le banc d'un arrêt de tram. Le tram arrive.
Instinctivement, pour se protéger du froid, il monte. Pas âme qui vive dans ce tram, si ce n'est le trou du cul qui ne partage pas ses clopes, écoutant sa musique de merde au fond du tas de merde sur rail qu'on ose appeler tramway.
Le vieux Joe avance vers le dernier wagon et s'étale sur quatre places en vis-à-vis. Par malchance, trois arrêts plus loin montent huit contrôleurs. Joe leur explique qu'il n'a pas l'argent nécessaire pour payer son ticket de tram, en pestant contre le mauvais temps et sur sa condition misérable, espérant ainsi apitoyer les contrôleurs, qui lui suggèrent de trouver vite 1 euro 15 avant de se faire gicler du tram.
Je fixe la vitre en face de moi. Il neige toujours. Le baladeur toujours vissé aux oreilles. Une odeur épouvantable m'arrive aux narines : c'est encore lui. Le clodo. Il me demande 1 euro 15. Je lui explique que la conjoncture actuelle n'a guère évolué depuis qu'il m'a demandé une clope, et que je n'agirai pas dans son intérêt en accédant à sa requête.
Un arrêt après, les contrôleurs lui demande de descendre. Il à de la chance il ne lui donne pas d'amende. Les chutes de neiges ont redoublé dehors…putain j'aimerai pas être dehors à ce moment là. Je m'arrête à la gare afin de me restaurer. Je commande un américain, et j'attends. Lorsque le gentil commerçant d'origine maghrébine (preuve que le foot n'est pas la seule façon de s'intégrer en france quand on est d'origine arabe et travailleur) me remet mon sandwich, voilà que le vieux clodo reviens, aussi bleu qu'un schtroumpf.
Il me demande un petit peu de thune pour manger.
Je lui explique que la conjoncture a empiré vu que j'ai un peu moins d'argent dans le porte monnaie depuis que j'ai payé le vendeur de sandwich et qu'il doit s'en sortir par lui-même. Je retourne attendre le tram Vingt-cinq minutes plus tard, je suis arrivé, il ne me reste plus que cinq minutes de marche avant d'arriver chez T.
Joe erre vers sont destin : le foyer. Le vent est si intense qu'il met une heure pour arriver. Arrivé à la porte, il est refoulé par une vieille mégère lui précisant qu'il n'y a plus un seul lit de libre, mais qu'il peut toujours essayé ailleurs. En route, Joe se fait un compagnon, un jeune berger allemand aussi solitaire que lui, et aussi sâle. Ils font un bout de chemin ensemble, sous la neige.
Pendant ce temps, je test quelque jeux de Playstation, bois un petit coup avec mon ami.
Nous discutons, bien au chaud. La soirée s'éternise, tant de chose à se dire, tant de chose à faire.
Sa femme va se coucher, nous continuons à boire et philosopher.
Trois heures du matin, il est temps de partir. T. me propose de me ramener en voiture, avec le temps qu'il fait, cela vaut mieux.
Joe s'est fait refouler à l'entrée des centres parce qu'il ne veut pas abandonner le jeune chien dans le mauvais temps. Il décide de marcher encore et encore, pour ne pas se laisser envahir par le froid.
Je monte dans la voiture de T., nous devons attendre un peu, le froid a couvert de glace et de neige durcit les pare-brises avant et arrière, ce qui rend impossible la conduite. La voiture chauffe peu à peu, la glace fond, mais pas assez vite, rien pour gratter, il nous faut nous armer de patience. Il n'y a personne dans les rues, alors tant pis, nous roulerons un peu à l'aveuglette…
Le froid déchire le visage du bon vieux Joe, il n'arrive plus à avancer, il n'est pas habillé pour supporter ce froid…à bout de force, il titube, vacille et s'écroule à genoux. Le jeune chien aboie, encore et encore. Une lumière divine apparaît aux yeux de Joe, comme un tunnel, dont l'issue s'approche de plus en plus vite.
On ne voit absolument rien dans la bagnole, mais il fait chaud c'est déjà ça. Nous roulons tranquillement, quand soudain, la voiture heurte quelque chose et lui roule dessus. Coup de frein brusque. Nous entendons un chien qui aboie. Nous sortons, catastrophés à l'idée d'avoir blessé un pauvre animal sans défense, mais dieu merci, le chien n'a rien. Lorsqu'on regarde sous la voiture, on aperçoit un corps inanimé. Je regarde mon ami et lui dit
« Ce n'est rien T., juste un clodo, ne l'aide pas, il doit s'en sortir par lui-même. C'est pour son bien. C'est la conjoncture économique et sociale actuelle qui veut ça. Bon tirons nous j'ai froid.
- T'as raison, ça caille. Prend le chien on va pas le laisser ici tout seul, me dit alors mon ami.
- Tu as raison, ce serait inhumain de l'abandonner ainsi. »
Nous remontons dans la voiture, on y voit un peu plus qu'avant, une demi heure après je suis de retour à la maison, au chaud.
Un peu plus tard, Joe ouvre les yeux, il a froid et ne peut pas bouger, il a mal, il saigne atrocement…une lumière divine apparaît, serait ce enfin… la fin ?
Le lendemain j'appelle T. pour savoir s'il est bien rentré chez lui, je devine à sa voix qu'il est en colère. Il m'explique qu'en rentrant il a de nouveau roulé sur le clodo, et du coup, il a dégueulassé sa voiture et abîmé le pare choc. Et bien évidemment le clodo, n'étant pas solvable, ne pourra pas rembourser les dommages occasionnés. Et faudrait encore les aider ? La conjoncture économique et sociale actuelle est décidément trop douce avec certaines personnes… Et qu'on ne vienne pas me dire que je suis un salaud, demain j'emmène le clébard se faire piquer ; si ça, c'est pas de l'humanisme.
«.´¯¯`•.,¸¸,.•´¯** Atom of the end **¯`•.,¸¸,.•´¯¯`.»
(Toute ressemblance avec des personnes existantes et des situations existantes
serait totalement involontaire.
le clodo a 5 centimes d'euro dans sa poche gauche de pantalon, ce qui fait qu'il n'a besoin que d'1 euro 15 pour son ticket de tram dont le prix est 1 euro 20... et toc !)