Tu t'es déjà posé un instant, alors que tu avais je ne sais combien de choses à faire, juste pour admirer une horloge ? - même si elle est moche et qu'elle fonctionne mal, là n'est pas la question - Non ? Tu devrais.
Depuis le cadran solaire, on a fait un putain de nom de dieu de bon en avant quand même, avec ce truc. Toute l'essence même de l'existence, de la vie et autres conneries, tout ça symbolisé par une aiguille qui tourne en rond pour en faire tourner une autre, qui elle-même en fait tourner une autre.
C'est fort, c'est puissant. C'est beau, et servilement subtil à la fois.
Je te laisse un instant pour aller vérifier mes dires, ensuite tu reviens. Je suppose que tu ne disposes que de ces réveils aux sonneries électroniques à te filer une crise cardiaque le matin, ne disposant que de chiffres lumineux qui t'éclatent les yeux quand tu les ouvres, pris d'une envie de pisser à 4 h 02 précises. D'un côté, tu sais pourtant de quoi je parle. On a fait des progrès c'est sur, mais dans la mesure temporelle, nada depuis l'invention de la montre, du cadran rond sur lequel tourne l'aiguille de la vie. Elle ne va nulle part, nous non plus, et bizarrement le temps avance, tout en restant figé quelque part entre douze chiffres.
Les innovations technologiques apportées à l'objet en lui-même n'influent en rien sur la course du temps. Il s'écoule toujours d'une façon aussi linéaire et terrifiante. On peut aussi, au bout d'un moment, constater par exemple qu'il est telle heure à tel endroit, dans des endroits aux noms exotiques, Los Angeles, Hawaï, bref. Faut il encore que ce soit précisé, même si ça ne sert à rien.
A l'heure qu'il est, certains vont se coucher, d'autres se lèvent, pour aller bosser, voler, braquer, mendier, pour aller à l'école, pour sécher les cours, pour aller manger, pour ne rien faire, et se demander si quelque part dans le monde, à cet instant précis, un crétin observe une horloge en pensant à tout et rien. A l'heure qu'il est quelque un vient au monde, quelque un crève, rapidement, dans la violence, à petit feu, dans la famine, sur le bord d'une autoroute, le trou-de-balle en chou-fleur et l'âme en vrac.
A cet heure ci quelqu'un s'ouvre une bouteille, et quelqu'un arrête de boire, à cet heure ci, des gens vivent, ils sont heureux, ou pas, après tout peu importe.
C'est vrai, c'est pas le genre de niaiseries qui nous viennent à l'esprit quand on regarde ces putains d'horloges.
On ne mesure pas à quel point c'est un objet essentiel, on est si loin de se douter qu'il fut un temps où cet appareil n'existait même pas. Rien de ce qui compose toute la machinerie à la fois complexe et simpliste ne nous effleure l‘esprit. Le temps mesuré nous éloigne encore plus de nos frère humains, et cela aussi nous échappe. Et concernant la fuite du temps dans un espace défini, qui finalement, n'est que l'ombre de nos vies misérables de singes savants que nous sommes, cloîtrés derrières les barreaux de notre exceptionnelle intelligence. Rien non plus.
La fuite du temps ne lui permet de se soustraire qu'à l'attention de notre perception de sa course effrénée. Le temps qui passe. La vie qui s'en va, la vie qui tourne en rond, la vie qui s'agite et ne va nulle part. L'aiguille tourne, le temps passe, mais à l'emprisonner dans un objet irrémédiablement statique, la seule chose que l'on voit, et que l'on se demande... c'est l'heure qu'il est.
Nous avons même muselé le piaf qui autrefois, sortait de sa niche temporelle, juste pour ne plus marquer les heures qui s'écoulent. On reste passif en croyant que le temps reste figé, qu'on sera éternellement jeune. On ne pense même plus à la mort. Quelque part au fond de notre inconscient, nous sommes immortel, du moins nous croyons l‘être. Il ne reste que le tic-tac, et c'est là, qu'on se rend compte que la symbolique de la course solaire reste imprimée dans notre encéphale ensommeillé, car ce son nous horripile, il dérange.
Il obsède.
On s'imagine naïvement que ce tic-tac n'est qu'un bruit, mais qu'est-ce qu'un bruit de plus dans un monde ou le silence n'existe pas, où entre calmophobes, on se déclare la guerre à coup de caissons de basses et de décibels ? Un bruit si minuscule n'est rien, il ramène juste notre inconscient immortel à sa triste condition, à la réalité, au temps qui passe.
Je suis comme toi, je me fous des vis et du cadran, de la matière de l'aiguille, du rouage de la vie, je me fous de ce que fait ce pauvre quidam à huit fuseaux horaires du miens, peut être même qu‘il fabrique une horloge made in truc, qu‘il a sept ans et qu‘il bosse pour cinq cents de l‘heure. Je me moque de qui vient au monde et de qui le quitte, moi aussi, je suis immortel, et pour moi aussi, le temps reste figé dans son horloge, il reste d'autant plus figé que les piles sont mortes.
Je ne sais pas quelle heure il est. C'est sans doute pour cette raison, qu'à l'instant ou elle m'assassine par un tic-tac puisant ses dernières forces, l'horloge détruit mes convictions, crache sur les convenances, joue avec le temps.
C'est pour cela, que son tic-tac m'effraie, car le temps n'est pas malléable, même si les piles sont mortes, même si l‘aiguille reste sagement là où l‘Homme a définit sa place.
Le temps passe, le temps fuit, emprisonné dans sa prison de verre et de plastique.