Il était tard; un peu plus de minuit passé, quand Georges rentrait chez lui par le dernier tramway. Attendant patiemment dans la nuit, éclairé par les réverbère aux lueurs agressives, il se laissait bercé par la musique hurlant à ses oreilles; yeux mi-clos aux veines rouge et éclatés, telles de petites blessures autour de l'iris, caractéristique des gens ayant un peu trop abusé de la marijuana durant la soirée. Mais si Dieu était de ce monde, il saurait que Georges aime tant ce vice; il aimait d'ailleurs tout ces vices; ou tout du moins, ça ne lui importait que peu.
Les minutes s'écoulaient, lente, comme ralenties par le cycle nocturne et la douce quiétude de cette nuit d'été. Au loin les rails semblent se perdre dans l'obscurité; Georges pensa que c'était comme sa vie, une longue ligne dirigé par des forces extérieur, et qui somme toute, ne menait nul part; seulement vers l'inconnu, vers l'obscurité et le néant.
Mais bien que Georges admettait facilement que certaines choses nous dépassent, il se refusait catégoriquement à la foi envers un dieu; paradoxe meme de l'athée, on ne croit pas se qui ne s'explique pas, mais on refuse d'envisager une hypothèse divine...on s'en remet à une espèce de fatalité, en maintenant l'illusion que nous contrôlons nos vies.
Georges ne croyait pas, car il avait peur de perdre le contrôle de son existence, bien qu'admettant n'en avoir aucun dessus; il aimait juste à penser que son statut de non-croyant le protégeait de ses mauvais penchants.
Le panneau d'affichage indiquait une minute d'attente, ce qui signifie que le tramway n'était plus qu'à quelques mètres; on entendait d'ailleurs le vrombissement de son moteur, et le crissement strident des freins lorsqu'il arrive à l'arrêt.
Le tram s'arrête, un léger soupir, comme si la machine elle meme semblait lasse de cette ligne ne conduisant vers nul part, les portes s'ouvrent, comme d'habitude.
Georges entre et ne valide pas son titre de transport; après tout on voit rarement les contrôleurs après minuit; et va s'installer sur la banquette arrière en forme de demi cercle au fond du troisième et dernier wagon.
Il n'y à personne à part lui.
Alors que son baladeur tombe en panne de pile, le tram arrive à l'arrêt suivant; au milieu de la ville endormie, un nouveau passager fait son apparition. C'est un homme d'une cinquantaine d'année, d'origine clairement africaine; on distingue à peine ses rides sur son front bronzé, sa peau est noir, si noir qu'elle fait ressortir le blanc éclatant des yeux du vieil homme; un peu comme de perles sur un coussin de velours foncé. Il est grand et légèrement dégarni sur le haut du front, mais ses cheveux frissonnant tirant sur le gris souris et ses sourcils bien fourni lui confèrent une prestance inspirant un sentiment de sympathie et de respect. Il porte un pantalon en tweed blanc, une chemise blanche, des petites chaussures de ville blanche, et de la main droite il tient une veste blanche, jeté par dessus son épaule. Comme sortie d'un autre age, une chaînette de montre gousset dépasse de la poche de sa chemise.
Le vieil homme poinçonna son titre de transport; et d'une voie grave, rocailleuse et chaleureuse, presque joviale, avec un léger accent, il déclara à Georges qu'il était important de poinçonner; l'honnêteté et la droiture nous était inspiré par Dieu lui meme disait il.
Georges se contenta de jurer contre les piles de son baladeur, et déclarer sans meme regarder le vieil homme qu'il n'était pas croyant. Pour toute réponse, le vieil homme toujours souriant et convivial lui dit qu'a défaut de croire en Dieu il pouvait au moins croire en l'honnêteté et la droiture; puis, comme pour poursuivre la discussion, il vint s'installer lui aussi sur la banquette arrière, sur le coté gauche de Georges.
Georges, qui était assis au milieu, comme pour dominer l'intérieur vide du véhicule se résignait à ranger son baladeur, pensant que le vieux allait bien sur en profiter pour lui casser les pieds. Georges contrastait énormément avec son compagnon de voyage, en effet il était de taille très moyenne, les cheveux noirs et longs en batailles, tout de noir vêtu, un baggy déchiré au genoux droit, évidemment trop large pour lui; une sorte de tunique dont les lacets croisés au col pendaient négligemment; sa peau était pale, et ses yeux, bien que mi-clos et légèrement irrité laissé apercevoir de magnifiques yeux bleu gris, emprunt de tristesse et de lassitude.
"Alors, jeune homme, ainsi tu ne crois pas en Dieu? renchérit le vieillard
- Ecoutez je suis fatigué et je n'ai aucune envie de parler théologie à cette heure; je ne crois pas et n'ai aucune envie de croire; fit Georges avec une espèce d'agacement
- C'est bien dommage;
- Je le vis plutôt bien
- Ho bien sur, on peut vivre sans la foi, mais c'est un peu comme une demi-vie, on compense sa frustration en remplissant son âme de vide et de transes éphémères
- La foi peut tout aussi bien être éphémère; dit Georges comme pour stopper son interlocuteur
- Peut être, certains perdent la foi c'est vrai; mais meme si ils le nient, ils croient encore
- Et comment pouvez vous en être aussi sur?
- Je le sais; rétorqua le vieil homme avec assurance, mais toujours du meme ton sympathique et aimable.
- c'est facile comme ça aussi...
- Tu n'imagines pas à quel point petit; mais être athée est tout aussi facile, on contredit ceux qui affirment, pour affirmer une sorte d'opposition dont les preuves sont aussi tangibles que celle de ceux qui ont la foi. L'athée c'est comme le croyant, mais à l'inverse. En fait tu as foi en ta propre non foi.
- Fascinant; fit ironiquement Georges
- A la rigueur, celui qui prétend ne pas croire, mais qui n'affirme pas l'inexistence de Dieu est peut être le plus sage...le vieil homme se frotta le menton,réfléchissant à la porté de ses mots.
- Dans ce cas, pourquoi croyez vous? Si celui qui entre dans la neutralité est si sage, pourquoi n'etes vous pas neutre?
- Je n'ai jamais dit que j'étais croyant.
- Si
- Non, tu l’as supposé, mais il n'était question que de ta propre foi petit.
- Et bien je ne crois pas ! Je n'ai foi en rien qui soit divin
- Pourquoi?
- je n'aime pas l'idée que je ne contrôle pas ma propre vie. La foi n'apporte rien
- Crois tu que ce que tu fais dans la vie t'apporte quelque chose?
- Que savez vous de ma vie? Georges se sentait soudain menacé, il n'aimait pas qu'on le mette dans le doute."
Le vieil homme se contenta de sourire. Il resta muré dans son silence, et observait Georges. Il respirait lentement, jambes croisées, les bras posé en haut le long du dossier de la banquette. Il prit une inspiration et repartit de plus bel.
" Avoir la foi, c'est insuffler une part divine à une existence qui en manque cruellement.
- Je n'ai pas besoin du divin
- Alors pourquoi vis tu mon jeune ami?
-...je n'ai aucune raison de vivre, je vis parce que je suis venu au monde et parce que j'ai grandit et ne suis pas mort jusque là, c'est tout...
- Alors tu ne veux pas avoir la foi car tu as peur de ne pas contrôler ton existence, mais tu admets que tu n'as aucun contrôle dessus.
- Si je le voulais tout s’arrêtera quand je le veux. Georges parlait avec assurance, carressant de l'esprit ces cicatrices sur les veines.
- Bien sur petit, mais en attendant tu es toujours là et tu ne l’as pas décidé. La foi n'amoindrit pas plus ton contrôle sur ton existence qu'elle ne l'augmente, tu te pose les mauvaises questions, voilà pourquoi tu ne crois pas.
- Mais vous allez me foutre la paix je ne crois pas je ne crois pas point barre. Georges recommençait à s'énerver, ce qui amusait le vieil homme.
- Pourquoi tant d’animosité ? J'essaie juste de comprendre.
- Y'a rien à comprendre, vous etes croyant vous?
- Je crois en l'Homme. Le vieil homme parlait soudain d'une voie aimante, comme celle d'un père qui parle de son enfant.
- C'est encore pire...mais bon soit, vous ne croyez donc pas en Dieu?
- Je n'ai pas dit ça.
- Pourquoi évitez vous la question?
- Je n'évite pas la questions, tu pose mal ta question
- Etes vous croyant?
- J'ai déjà répondu à cette question, je crois en l'Homme.
- Croyez vous en Dieu? Georges fulminait
- Bien sur, mais je préfère avoir plus de foi envers l'Homme.
- Pourquoi donc; vous vantez l'intérêt de croire en Dieu pour apporter une touche de divin, mais préférez croire en L'Homme chez qui il n'y à rien de divin...Georges jubilait, son interlocuteur était coincé.
- Il y a du divin en l'Homme, il y à l'âme, qui est une infime part de Dieu, on la retrouve en chacun d'eux. Et puis Dieu à crée l'Homme, ne rit pas je peux te l'affirmer, je ne mens jamais petit.
- Je n'en doute pas une seconde. Ricana Georges
-...Dieu a créé l'Homme, alors l'Homme croit en Dieu, et Dieu place sa foi en l'Homme.
- Vous vous placez au meme rang que Dieu? Vous n'etes pas un peu présomptueux?
- Encore faudrait il estimer Dieu, donc de ton point de vue je ne serais guère présomptueux mais juste stupide de me comparer à quelque chose d'inexistant...
- Alors que faites vous si vous ne prétendez pas être au meme rang que Dieu?
- Je ne faisais que me présenter, petit.
- Je ne suis pas sur de comprendre...
- Je suis, Dieu."
A ces mots, Georges ne put s'empêcher de ricaner; et considérer son interlocuteur non plus comme un enquiquineur mais un sympathique doux dingue avec un sérieux problème d'ego.
" Prouvez moi que vous etes Dieu.
- Pourquoi faire? Tu n'as pas la foi...
- Faites venir des sauterelles, changer l'eau en vin je sais pas faite un truc qui le prouve.
- Non, tu n'es pas disposé à croire tu l'as dit toi meme, je n'ai donc rien à te prouver puisque tu affirme sans preuve que je n'existe pas. Tu sembles si bien sans foi je ne voudrais pas remettre ton existence en cause.
- Evidemment c'est facile de s'en tirer comme ça...
- Très; c'est aussi facile de prétendre que Dieu n'existe pas et de demander au premier venu affirmant qu'il est Dieu de faire des tours afin de te prouver son existence. Tu souhaites tellement donner un sens à ta vie que tu veux croire, au fond de toi tu crois certainement, mais tu ne veux pas l'accepter. Mais plus que la foi en un dieu, c'est la foi en toi meme qu'il te manque, la foi en Dieu, c'est avoir foi en cette étincelle divine qu'il y a en chacun d'entre les Hommes; avoir foi en moi, c'est avoir foi en toi, car j'ai foi en l'Homme. Si tu n'as guère foi en moi, comment diable veux tu que j'ai foi en toi...laissera tu ce manque au fond de toi toute ta vie parce que tu ne veux pas tout simplement croire que c'est aussi simple de le combler?
- Je n'ai aucun vide en moi. répondit Georges, en evitant le regard du prétendu Dieu.
- Ho que si, tu le sais, mais comme tout, tu te refuses à l'admettre. Mais réfléchis bien à ça, l'Homme est depuis tout temps éclairé par la foi, sans la foi, tu n'avancera jamais...un homme qui ne croit pas c'est un homme pour qui je ne peux rien.
- Admettons que vous soyez Dieu, je ne vois pas en quoi avoir foi en vous m'apporterait quelque chose.
- Alors tu n'as vraiment rien compris. Tu sais c'est pour toi que je dis ça...mais baste, ton arrêt arrive, nous en reparlerons bientot. Bonsoir Georges...
- Comment savez vous que mon arrêt est celui ci? et comment savez vous mon prénom?" Georges tourna la tête un instant; comme pour vérifier qu'il était bien à l'arret "cristallerie"; le temps de vérifier, son interlocuteur avait disparut.
...
Comme à son habitude, le dernier tramway arrivait à l'arrêt "cristallerie" à une heure moins dix. Personne n'en descendit.
Une demi heure plus tard, le tram arrivait au dépôt pour y être garé avec les autres avant de reprendre le service au petit matin. Le chauffeur, un petit bonhomme bedonnant, découvrit au fond du tram, allongé sur la banquette arrière le corps inanimé de Georges, ses écouteurs toujours rivés sur ses oreilles, la musique criait encore; Georges avait le visage serein; il souriait...peut être avait il trouvé une réponse. Peut être avait il trouvé la foi, ou simplement un autre néant…
fin.